Promenade sonore - Par les sons inviter à découvrir son environnement
Par Anne Versailles
Comment inviter les promeneurs à quitter les chemins pour s’enfoncer dans la Forêt de Raismes ? En les y guidant par les sons, grâce à une promenade sonore géolocalisée, géopoétique et ludique, réalisée par Anne Versailles en partenariat avec le Parc Naturel Scarpe-Escaut et avec la collaboration d’habitants de la lisière forestière, de lycéens du Lycée horticole proche et de promeneurs.
Vous pouvez retrouver ci-contre le passage de Anne Versailles au Forum des Paysagistes Sonores le samedi 29 janvier 2022 ———->
A travers une promenade sonore, inviter les promeneurs à oser quitter les sentiers pour s’enfoncer dans la forêt, faire craquer les branches sous leurs pieds, entendre la forêt faire des bruits, devenir une fougère ou un bousier ou s’envoler comme une buse.
En Belgique, où je vis, quitter les sentiers de la forêt est généralement interdit ! Mais là, j’étais en résidence en France, dans les ” Portes du Hainaut “, non loin de la frontière où s’étend le Parc Naturel de Scarpe Escaut. Ce Parc compte 4600 ha de forêt, la forêt domaniale de Raismes-Saint-Amand-Wallers. Et là, les biologistes-éducateurs de la Maison de la Forêt (centre d’interprétation de la forêt) ont un objectif : inviter les promeneurs à sortir des sentiers pour découvrir réellement la forêt. Mais beaucoup n’osent pas…
J’ai donc travaillé avec eux pour créer une promenade sonore qui incite les promeneurs à quitter les sentiers, à faire craquer les feuilles et les branches sous leurs pieds, à s’enfoncer dans les sous-bois, à se laisser guider par ce qui y résonne, à perdre peu à peu leurs repères.
Cette promenade est composée de différents sons. Il y a bien sûr ceux que j’ai collectés, par fieldrecording, au sein même de la forêt. J’ai transformé certains d’entre eux d’une manière plus musicale. Je me suis également rendu en forêt avec Samuel Bodart, un poète percussionniste, pour l’enregistrer en train de jouer sur des troncs d’arbres en utilisant des branches comme maillets.
J’ai également enregistré une promenade guidée par une des animatrices de la Maison de la Forêt et utilisé certaines de ses explications sur la biologie de la forêt. Et en partenariat avec une maison de quartier située en bordure de forêt, j’ai également pu interviewer quelques riverains et leur poser des questions sur leur expérience intime avec la forêt. Quelques étudiants en horticulture ont également accepté timidement de se poser dans la forêt avec un enregistreur pour décrire ce qu’ils percevaient autour d’eux.
Pour inciter les promeneurs à sortir des sentiers, j’ai également voulu donner à cette promenade une entrée fictionnelle : entrez dans les sous-bois et devenez une fougère, ou un bousier, ou envolez-vous comme une buse ! Pour écrire ces mini-fictions, j’ai organisé un atelier d’écriture pour les biologistes qui travaillent au Parc Naturel de Scarpe Escaut. Pendant quelques heures, nous nous sommes amusés à écrire des mini-fictions de ce type. Nous nous sommes également mis ” dans la peau ” d’un vieux chêne de la forêt et nous nous sommes souvenus de tout ce que nous avions vu à nos pieds. Ces textes ont ensuite été mis en voix et enregistrés. A partir des sons captés dans la forêt, j’ai créé une ambiance sonore pour chacun d’eux.
J’ai ensuite implémenté tous ces sons sur la plateforme SonicMaps, en partant de la Maison de la forêt de Raismes. Sous une forme qui incitera les promeneurs à s’écarter des chemins pour rechercher ces sons. Le départ se fait dans les racines d’un arbre. Dans les nodules des racines, des sons du souterrain, de l’infra, de ce qui ne s’entend pas mais s’imagine. Puis de prendre le tronc de l’arbre dont l’axe suit le chemin principal. Mais très vite, les branches s’en écartent. Puis il y a les feuilles à atteindre. Dans les sous-bois, déjouer le GPS de son smartphone pour tenter de s’y rendre et écouter ce que la forêt a à dire.
En tant qu’artiste sonore, je sais à quel point le son peut ouvrir les portes de l’imaginaire. Vous écoutez et des images naissent dans votre tête. Mais en tant qu’artiste à pied, je sais aussi qu’il est bon de partir les oreilles en l’air pour écouter directement le paysage.
“Mon intention dans cette promenade est d’être dans les oreilles des gens avec des matériaux et des textures sonores que leurs oreilles n’écoutent pas habituellement. De les emmener au plus profond de la forêt et là, de les inviter à retirer leurs écouteurs pour écouter la forêt qui sonne, en direct, sous leurs pas.”
Projet réalisé dans le cadre d’une résidence CLEA accueillie par la Communauté d’Agglomération de la Porte du Hainaut