Balade sonore - Tournée #2 - Benoît Frech et Alessandro De Cecco (Grenoble, 10.09.2023)

PAYSAGES | DÉCALÉS - Avec Alessandro De Cecco
A l'écoute de la ville - Avec Benoît Frech

Le rendez-vous est fixé samedi 10 septembre à 10H au Jardin de Ville de Grenoble. Alessandro De Cecco de l’association APNÉES, basée ici, à Grenoble, et Benoît Frech (aka Le Son Façonné) aussi administrateur de l’Espace Enchanté (Domaine de Rovorée, Lac Léman, Savoie) nous y attendent pour un duo de balades sonores respectivement intitulées :   PAYSAGES | DÉCALÉS et “A l’écoute de la Ville”.

La première a été créée en 2021 à l’occasion de la journée mondiale de l’écoute et propose une déambulation sous casque, articulée autour de points d’écoute mixant : sons de l’environnement direct, enregistrements de paysages sonores, musique expérimentale et textes méditatifs.

La seconde est une promenade sous casque spécialement imaginée pour l’évènement et propose l’écoute de microphénomènes sonores en direct : grignotage du bois des arbres par les insectes, résonances dans des constructions humaines, écoute des vibrations du sol. Cette balade reprend les grands traits d’une pédagogie publiée l’année passée dans le journal de l’association par Benoît.

Dans les deux pistes ci-dessous vous pouvez retrouver les traces sonores d’échanges ayant eu lieu sitôt après la balades avec Alessandro et Benoît ; ainsi que quelques mois plus tard par zoom et en prévision de la publication de cet article ; qui permettrons aux plus curieux-ses d’approfondir les démarches des deux praticiens. 

Discussion juste après la balade sonore avec Alessandro, Benoît, Arthur, Gilles et Christine : 

Entretien entre Benoît, Alessandro, Gilles et Arthur à distance en janvier 2023 : 

Alessandro De Cecco - PAYSAGES | DECALES

Notre rencontre commence avec la distribution et mobilisation du matériel. Les participant.e.s, majoritairement en duo, sont équipé.e.s d’un casque chacun.e, d’un smartphone souvent personnel avec une connexion internet 3G/4G et d’un splitter de signal jack stéréo. Alessandro distribue des petit papiers avec un QR code à flasher, nous permettant d’accéder à une application web sur Guidemate.com. Celle-ci nous permet d’accéder à une playlist géolocalisée, basée sur des points d’écoute / de déclenchement, activant du son et/ou des images et textes [voir captures d’écran ci-dessous].

Le fait que la promenade soit disponible sur le Web via un simple URL permet de ne pas demander à chaque participant.e d’installer une application tierce sur propre smartphone. Le système fonctionne ainsi sur une large gamme de dispositifs mobiles, même les moins performants, en minimisant les dépendances de version ; privilégiant ce faisant la simplicité, la rapidité d’accès et l’inclusivité. 

Page d'accueil
Carte interactive
Ecoute et image

Une fois chacun.e équipé.e, Alessandro nous invite à former un cercle et a observer quelques minutes de silence, à l’écoute du paysage du jardin de ville : le vent dans les feuilles des arbres, des enfants qui jouent derrière nous, la ville au loin, nos propres échos… 

Dans un second temps, Alessandro, toujours en silence, commence à marcher et nous invite à le suivre. Nous effectuons un premier arrêt après quelques dizaines de mètres, au milieu du parc. Il lève une feuille de papier sur laquelle est imprimer le chiffre 1. Nous enfilons les casques et lançons une première piste. Il s’agit de l’enregistrement d’une performance de musique acoustique improvisée in-situ avec le paysage sonore, réalisée par des membres de l’ensemble Apnées. Ce point s’accompagne d’un petit texte : “Le public alimente les matériaux sonores avec sa présence, son mouvement, son écoute.

Première piste audio de la balade : Audience influencing sonic material

Dans cette balade le guide joue le rôle de “chef d’orchestre”. En silence, à l’aide de gestes, regards et panneaux uniquement, il indique les transitions, accompagne les mouvements et la synchronisation du groupe tout en laissant la place à chacun de s’approprier une “composition ouverte” développée dans une démarche en premier lieu artistique et esthétique. Poreux aux rythmes de l’environnement et de chacun.e, il ne cherche pas tant à reproduire une pièce qu’à saisir et aider à saisir la singularité de chaque performance. 

Oreilles ouvertes et esprits éveillés nous poursuivons notre déambulation. Nous marquons un second arrêt devant les frondaisons des arbres, écoutons une seconde pièce, puis une troisième devant l’espace de jeu pour les enfants. Nous enlevons nos casques et nous profitons d’un moment à l’écoute du paysage sonore tel qu’il est joué et composé en direct par les (non)vivants qui l’habitent.

Nous poursuivons notre marche et observerons régulièrement un arrêt, tantôt pour écouter une pièce sonore, tantôt pour lire une phrase réflexive, un proverbe ou s’interroger en silence sur une question philosophique. A notre expérience sensible se mêle progressivement une exploration spirituelle des lieux et de leur animation, une déambulation mentale au rythme des pas et des oreilles, une pensée qui se pose et s’accroche en silence aux espaces sonores. 

Nous poursuivons ainsi, de posture, en geste et en surprise : moment d’écoute du silence, présence sonore de l’absence (ruelle vide, fontaine à l’arrêt) ; sentir les ambiances et se fondre l’oreille dans les architectures (espace ouvert du pont, intérieur d’une église) ; jouer avec les rythmes de la ville (visite du marché, improvisations captées avec les cloches de l’église) ; formes poétiques, imaginaires hétérochroniques et proverbes incarnés… A l’aise, nous devenons flâneur.euse.s. 

Nous marquerons au total 16 points d’arrêt en une petite heure. 

Piste audio de la balade : Itinérances 2 – Extrait 4

L’intégralité de la promenade se base sur le mélange de sons enregistrés (musicaux, environnementaux, …) et de postures d’écoute (à oreille nue) de sonorités in-situ. Les premiers sont proposés dans les parties du parcours labellisées par une icône « casques », les derniers par une icône « oreille nue ». Certaines parties sont « muettes » ou « silencieuse », puisqu’elles incluent non pas un son enregistré ou une posture d’écoute, mais uniquement un texte évocateur qui se relie à une certaine forme d’« écoute intérieure » (fortement influencée par les études phénoménologiques, ainsi que par des pratiques de type méditatif come le Deep Listening© de Pauline Oliveros).

La création explore les possibles stratifications et superpositions des temporalités, ainsi que les possibles expériences d’écoute subjectives et hétérochrones, dans lesquelles la mémoire connecte les sites physiques à leur propre empreinte sonore.

Piste audio de la balade écoutée dans la fontaine asséchée [photo de droite] : Eau 

Notre trajet se termine sur des marches menant à la citadelle, sous une arche et au milieux des plantes retrouvées, comme un clin d’œil à notre point de départ. Chacun.e d’entre nous met fin de manière légèrement asynchrone à l’expérience ; certain.e.s au casque, d’autre à oreilles nues, encore empreint.e.s de l’expérience à la fois intime et partagée des paysages traversés. Alessandro passe la main à Benoît pour une toute autre aventure sonore. 

Benoît Frech - A l'écoute de la ville

Notre balade commence par un point matériel : Benoît vérifie le bon fonctionnement de son enregistreur et mixeur SoundDevice MixPre3 et de chaque micro (contact et hydrophone “jez riley french” ; géophone “LÒM”)  avant de brancher en sortie un émetteur FM “the t.bone” Tour Guide Mini Transmitter. Ce dernier envoi à une flotte de petits récepteurs distribués aux participant un signal audio FM leur permettant d’écouter à distance, en direct et en analogique dans un petit périmètre. Tout en les préparant, Benoît nous montre les appareils et nous décrit leur fonctionnement. 

Aussitôt équipé.e.s nous partons en direction d’un grand arbre situé juste derrière nous. Benoît nous présente un premier capteur : un micro de contact basé sur un piezzo-électrique. Il place de dernier dans le creux entre deux branches et nous commençons à entendre les premiers craquements. Après quelques secondes de silence et de curiosité, Benoît nous révèle ce qui se cache derrière ces étranges sonorités : des insectes xylophages sont entrain de grignoter le bois. A cela s’ajoute le mouvements des branches agitées par le vent et notre propre touché sur le végétal. 

En donnant les clefs des gestes, des techniques ainsi qu’en annonçant aux auditeur.ices ce qui va être écouté le guide aménages les conditions d’une curiosité et d’une attention à la nouveauté afin d’en facilité l’appropriation. Avec des microphones variés la promenade permet de s’ouvrir à d’autres réalités sensibles, d’être transporté dans un ailleurs en se liant à des matériaux différemment. 

Notre balade se poursuit sur le petit terrain vague juste derrière. Benoît installe son géophone. D’abord patient.e.s les participant.e.s commencent à interagir avec le dispositif : faire des pas autour du capteur, sauter, gratter le sol avec une pierre ou un bâton… Nous écoutons les timbres si étonnants que nous révèle la terre devenue instrument. 

Nous faisons ensuite étape auprès d’une grille métallique. A nouveau nous explorons les sonorités qu’elle nous offre au travers du géophone fixé à l’aide d’une ventouse. Les chocs réverbèrent de manière majestueuse dans ce bout de métal à demi rouillé et visuellement bien banal. Notre quatrième arrêt se fait de manière similaire autour d’une fontaine à eau. En l’activant nous découvrons autrement les échos de l’eau qui y circule… On reconnaît ce que nous entendons habituellement à l’oreille mais avec plus de richesse, des harmoniques, une petite réverbération… Le métal est plein de surprises et nous le révèlera dans une avant-dernière étape sur le pont : les micros contacts attachés aux câbles et barrières donnent une nouvelle forme aux pas des piétons et vélos… On se demande ce que ça donnerait avec des voitures… 

Chaque fois, Benoît prend le temps de nous expliquer ses gestes, ce qu’il espère nous faire entendre puis ce que nous entendons. Il approfondit chaque écoute en donnant des informations sur les animaux et être qui peuplent ces milieux que nous auscultons interrogeant ce que nous appelons silence et ce que nous pourrions envisager comme pollution. .  

Insectes xylophages dans un tronc d’arbre comme on en trouve en ville, écoutés à l’aide d’un micro « contact » ou type « piezo » .

Enregistrement d’un petit cours d’eau qui traverse un village, on en trouve également en ville, plus souvent des rivières ou fleuves bien sûr. Là, le dispositif déployé est un hydrophone.

Ceci est ce que l’on peut entendre des émissions électromagnétiques produites par un appareil type smartphone, en tellement grande quantité en ville. Ces ondes, en plus des wifi, radiocommunications des dispositifs urbains divers et autres écrans. Le microphone utilisé est un « coil pick-up » ou bobine à induction pour capter ces ondes électromagnétiques.

En optant pour des pauses de longue durée, la balade favorise une posture de contemplation. Elle laisse aussi le temps à des phénomènes intermittent de se faire entendre et aux participant.e.s de trouver suffisamment d’espace pour improviser parfois quelques interactions, tester des gestes et prendre de multiples initiatives. Une ambiance ludique est privilégiée.  

L’ultime étape de notre balade se déroulera à nouveau sur le pont mais avec un tout nouveau capteur : un micro électromagnétique. Benoît demande le téléphone d’un.e participant.e pour faire une démonstration avant de nous laisser expérimenter en autonomie : des bips, des cliquetis, des tonalités aigues se révèlent de manière tantôt régulière et organisée, tantôt de manière totalement aléatoire. Notre appareil d’apparence silencieux se révèle hyperactif (trop actif peut être même)

En s’intéressant à des phénomènes inouïes de notre quotidien, en écoutant ce qui se cache derrière le silence, cette balade sonore permet de se rendre sensible à de multiples dimensions de la notion en apparence simple de “pollution sonore”. Sa dimension esthétique permet de générer un sentiment de proximité, un lien affectif et une envie de prendre soin de son environnement. Elle permet aussi d’informer conceptuellement et de nourrir des réflexions et discours. 

Références - Pour aller plus loin

CRÉDITS :

Coorganisation : Arthur Enguehard, Gilles Malatray ft. Pepason & APNÉES
Photos article : Arthur Enguehard, Gilles Malatray
Textes article : Alessandro De Cecco, Arthur Enguehard, Benoît Frech, Gilles Malatray
Sons article : Alessandro De Cecco, Benoît Frech
Dessin article : Arthur Enguehard 
Montage/mixage des interviews : Arthur Enguehard