Parcours pédagogique autour du paysage sonore pour les personnes en situation de handicap mental et cognitif

Par Matteo Olivo

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Résumé

Le projet prévoit la réalisation d’un parcours pédagogique, adressé aux personnes en situation de handicap cognitif et mental, visant à réaliser une composition musicale autour du paysage sonore naturel à l’aide d’applications numériques.

Le projet et les objectifs pédagogiques

Le projet s’inscrit dans le cadre de mon doctorat de recherche au sein du département de Musicologie de l’Université Jean Monnet de Saint Etienne, en codirection avec l’Université Lyon 1 (laboratoire Parcours Santé Systémique), et s’adresse aux personnes en situation de handicap cognitif et mental, jeunes (principalement dans le cadre scolaire) et adultes.

Le projet prévoit la réalisation d’un parcours pédagogique, visant à réaliser une composition musicale autour du paysage sonore naturel, à l’aide d’applications numériques qui reproduisent des bruits de la nature. 

Ce type de travail permet, à travers la création d’une dynamique de groupe, de développer les compétences psychosociales : il s’agit de compétences comme la communication verbale et non verbale, l’empathie, l’estime de soi, la prise de décision, qui contribuent au processus d’autonomisation de la personne, et à augmenter son état de bien-être physique, psychique et social (OMS, 1993). 

De l’autre côté, le parcours vise à augmenter les compétences des participants dans le domaine de la musique, et notamment de celles liées « perception et à la production », prévues dans les programmes ministériels d’éducation musicale du cycle 3 et 4. Le lien avec les programmes ministériels est dû au fait que les écoles (collèges) constituent le public principal du projet.                 

A ce propos, le choix de travailler sur le sujet du paysage sonore naturel apporte de nombreux bienfaits du point de vue pédagogique : tout d’abord, à travers ce type de travail, les participants sont sensibilisés à l’écoute et par rapport aux différentes catégories de bruits qui caractérisent un paysage sonore, selon la classification de R. Murray Schafer (empreinte sonore, signaux, tonalités). En effet, pendant les premières séances des moments dédiés à l’écoute du paysage sonore qui nous entoure sont prévus, et le sujet est aussi abordé du point de vue théorique. 

En plus, le fait de travailler dans le domaine du son, et pas des notes jouées, permet d’éviter d’aborder certains aspects techniques (l’harmonie, la pratique de l’instrument, etc.), en rendant le processus de création de la composition plus intuitif et accessible. 

Enfin, cela permet aussi aux participants de découvrir des genres musicaux, et des univers sonores moins conventionnels, mais tout aussi riches du point de vue expressif et pédagogique.    

Les applications musicales numériques : profils concernant l’accessibilité

Les applications numériques conçues pour la réalisation du projet sont très accessibles et intuitives. Deux types d’outils sont disponibles : des applications qui permettent de déclencher des bruits de la nature, à travers des échantillons enregistrés (Application “Paysage sonore”) ou simulés à travers des techniques de synthèse sonore, comme la synthèse soustractive ou granulaire (Application « La mer »).

Un enregistreur numérique, qui permet d’enregistrer et reproduire des échantillons de sons, est mis à disposition des participants.

En revanche, les applications du deuxième type simulent le timbre de certains instruments de musique qui, dans l’imaginaire collectif, peuvent être associés à ce type d’environnement sonore naturel, comme par exemple le djembé ou le didgeridoo – Par exemple l’application « Djembé »

Enfin, une troisième série d’outils numériques est actuellement en phase de développement, visant à l’acquisition des compétences théoriques dans le domaine de la musique prévues dans les programmes ministériels susmentionnés.

Testez les applications ci-dessous

 Ces outils numériques sont développés et testés par les participants, et une activité d’observation participante est menée lors des ateliers, de manière à pouvoir apporter au fur et à mesure les adaptations nécessaires pour les rendre plus accessibles.

Un entretien à la fin du parcours avec les participants, leurs parents (où disponibles) et les professionnels qui les accompagnent, permet d’évaluer également ces aspects.

Les outils numériques sont développés principalement sous forme d’applications pour le web, un format assez adapté pour ce public, étant donné qu’elles ne nécessitent d’aucune installation de logiciels : il suffit de cliquer sur un lien web pour y accéder. En plus, des aménagements sont apportés afin de faire face aux troubles liés à la compréhension (simplification des outils, explications textuelles, icônes sur les éléments des interfaces, etc.) et à la lecture (système de synthèse vocale pour expliquer le fonctionnement des dispositifs, adaptation de la police, de l’interligne, des couleurs, etc.).

Enfin, les applications sont utilisables sur plusieurs types de supports (smartphone, tablette, ordinateur) ; dans le cas des applications pour smartphone, certains paramètres du son sont contrôlés par l’accéléromètre du dispositif, à travers des mouvement très simples et intuitifs.

Certaines applications peuvent être aussi contrôlées par des dispositifs externes (contrôleurs MIDI). Cette grande variété d’outils permet à chaque participant de choisir le dispositif, et le mode d’interaction, qui lui conviennent le plus, et de faire face ainsi aux troubles éventuels liés à la coordination et à la motricité fine, dus à la dyspraxie.

Le processus de création et la structure de la composition

La composition est basée sur une histoire imaginaire inventée et ensuite sonorisée par les participants, qui se déroule au sein d’un environnement naturel. Le processus de création de la narration est basé sur une technique d’animation typique des projets d’éducation à la santé, qui s’appelle « Le mur écrit » : la conception de l’histoire se fait avec des post-it sur lesquels l’animateur écrit les idées et les contributions des participants, à partir d’un sujet choisi. Les post-it sont ensuite ré-organisés selon un ordre hiérarchique et temporel, pour créer le déroulé de l’histoire. 

La narration est ensuite sonorisée avec les sons des applications à disposition. Ce travail donne lieu à une partition simplifiée du point de vue graphique et conceptuel, basée sur une structure en blocs : chaque bloc correspond à un instrument différent, et l’axe des x représente le déroulement de l’histoire du point de vue temporel.

La composition est basée sur la méthode de l’apprentissage coopératif : à chaque membre du collectif est assigné un rôle (chef d’orchestre, responsable de la partition, responsable du matériel technique, chargé de la présentation de la pièce, etc.), de manière à créer une relation d’interdépendance positive au sein de laquelle chacun est indispensable pour atteindre l’objectif final du groupe ; cela contribue au développement des compétences psychosociales des participants. Le chef d’orchestre lance des signaux sonores (par exemple, le tonnerre, le son d’une cloche, etc.), qui marquent le début et la fin des différentes phases de la pièce.

Les expériences menées jusqu’à présent   

En 2021 le projet a été testé en collaboration avec deux groupes des personnes en situation de handicap : un groupe d’adolescents faisant partie de l’association Williams et Beuren Auvergne-Rhône-Alpes, et un groupe d’adultes suivis par l’association LADAPT Auvergne-Rhône-Alpes. En 2023 un parcours sera enfin mené au sein d’un collège à Lyon.

Les parcours pédagogiques effectués jusqu’à présent, ainsi que les observations et les entretiens réalisés à la fin de chaque série d’ateliers, ont permis de recueillir beaucoup d’informations concernant l’impact du projet sur les compétences des participants, ainsi que sur l’accessibilité des outils numériques et du projet pédagogique. A ce propos, le choix d’axer le projet sur le thème du paysage sonore naturel s’est avéré très adapté par rapport au public ciblé : cela a permis de rendre plus accessible et intuitif le travail sur la composition, du point de vue technique (c’est-à-dire par rapport aux compétences musicales demandées) et aussi en ce qui concerne le processus de création de l’histoire. Même dans le cas des personnes ayant une déficience intellectuelle sévère, les bruits de la nature représentent des éléments assez concrets, qui font partie de l’imaginaire commun, et donc facilement compréhensibles. 

L’année prochaine, lors que le parcours sera testé en milieu scolaire, le travail sur ce sujet permettra de faire des liens avec les programmes d’autres matières (SVT, histoire-géographie, etc.). Il nous faudrait valoriser plus l’écoute des bruits de la nature en extérieur, en organisant des petites « balades sonores », pour sensibiliser encore plus les participants à l’écoute et leur fournir aussi des suggestions pour la création de la composition. Pour cela, il sera nécessaire de réfléchir davantage aux aspects logistiques du projet, et aux contraintes liées aux handicaps physiques qui peuvent être associés aux déficits cognitifs des participants.    

L’utilisation des technologies numériques a contribué fortement à faciliter le processus de création, et a permis d’arriver rapidement à la phase de composition, sans passer par la maitrise graduelle des outils (comme dans le cas des instruments de musique traditionnels). En plus, les applications ont permis aux membres du groupes d’avoir à disposition une palette assez vaste de bruits et de sonorités, en rendant le travail sur la composition plus riche et intéressant du point de vue créatif.              

Bibliographie
  • Farnell, Andy, Designing Sound, MIT Press, Cambridge, 2010.
  • Frid, Emma, « Accessible Digital Musical Instruments – A Review of Musical Interfaces in Inclusive Music Practice », Multimodal Technologies and Interactions, Vol. 3 (3), 57, 2020.
  • Olivo, Matteo, « Les instruments de musique numériques pour les personnes en situation de handicap cognitif et mental : exemples d’applications via le web », Journées d’Informatique Musicale, Saint-Etienne, France, 2022.
  • Schafer, R.M, Le paysage sonore. Le monde comme musique., Wildproject, Marseille, édition française, 2010.
  • Schwarz, Diemo, « State of the art in sound texture synthesis », Proceedings of the 14th International Conference on digital audio effects (Dafx-11), Paris, France, 2011

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